Paul-Marie Coûteaux, député européen, voit dans le projet d’introduire les langues régionales dans la Constitution un danger de reconstruction de l’Europe sur des bases ethnolinguistiques et non plus nationales.
Rien n’est beau comme une tradition quand ses héritiers la font vivre avec amour et piété, et ce bonheur que tout être trouve dans le respect de son passé, la fidélité à ses pairs, une chaleureuse réconciliation avec soi. En vacances dans le Quercy, j’ai assisté un soir d’été à une représentation théâtrale jouée par une compagnie d’amateurs du canton entièrement en patois un dépliant indiquait qu’il s’agissait d’un dialecte quercinois, une des variantes de l’occitan. La plupart des natifs riaient aux répliques mais beaucoup (les plus jeunes et les «étrangers») ne riaient que de les voir rire. C’était un beau spectacle financé par le conseil général, la langue faisait respirer alentour la terre, chanter les petits arbres tourmentés des causses.
L’aimable question des langues régionales révèle une vérité que la plupart de ses thuriféraires cachent avec soin : en vérité, elle en masque au moins deux autres : d’une part, celle de l’unité, d’autre part, celle de l’indépendance de la nation.
Unité parce que, la France n’étant pas une donnée de nature comme l’est une île, telle la Grande-Bretagne, où une race, par exemple le «Deutschtum», elle est tout entière culturelle et politique. Le partage d’une langue, la langue française, est le plus sûr, et d’ailleurs le plus noble, lien de solidarité entre les vivants, d’une part, entre eux et leur histoire, d’autre part ; elle est en somme le vrai socle de la nation. Elle est donc une affaire d’abord politique, et l’est d’autant plus à mesure qu’elle s’affirme comme un lien d’intégration mais aussi de socialisation et on pourrait dire de civilisation dans un monde qui menace tant l’une et l’autre.
De ce point de vue, le gouvernement français s’était certainement trompé en cherchant à inclure dans la Constitution la reconnaissance des langues régionales ; encore le faisait-il non pas en modifiant l’article linguistique qui fixe que «la langue de la République est le français», mais dans son article Ier, beaucoup plus politique en ce qu’il vise les cadres de notre République, le but de la reconnaissance des langues régionales étant de contribuer à l’établissement d’une république décentralisée : à chaque territoire une langue régionale ? C’est en somme le processus espagnol que l’on reprend ici sans voir à quoi il conduit (dans certaines universités catalanes, certaines disciplines ne sont pas assurées faute de trouver des enseignants qui sachent le catalan ; et nombre d’élèves sont victimes de discrimination selon que leur famille parle chez eux catalan, certains ne comprenant rien aux cours…).
À cela s’ajoute un autre problème : les minorités linguistiques sont si nombreuses en France, 73 selon le rapport de l’ancien délégué à la Langue française, M. Cerquiligni, que leur protection serait infinie et qu’il faudrait inclure aussi des langues comme le berbère, le wolof, et plusieurs dizaines d’autres. Il est envisagé pour elles, comme elle le fait à propos du tsigane, un «territoire mère» : c’est la communautarisation de la France que l’on organiserait ainsi. Et l’on s’étonne que le gouvernement ait songé à l’inclure dans le premier article de notre Constitution qui fixe les principes de la République. Il est vrai que c’est en son nom que le Conseil constitutionnel a refusé de valider la charte européenne des langues régionales signée par M. Jospin. Est-ce pour contourner son opposition que l’on a voulu inclure cette modification ? On comprendrait certes le juste courroux de M. Debré, et l’opposition de nos sénateurs, entraînés par un groupe UMP fort avisé.
C’est ici qu’apparaît le second enjeu : après l’unité, c’est l’indépendance nationale que beaucoup visent. La recomposition de notre continent sur une base ethnolinguistique est un moyen d’effacer lentement les États-nations, au bénéfice d’une grande Europe supranationale. La FUEV (Föderalistische Union Europäischer Volksgruppen, Union fédéraliste des communautés ethniques européennes), le 22 mai dernier, s’est félicitée du projet de réforme français. Je puis témoigner que cette association est fort active au Parlement européen, se trouvant à l’origine de nombreuses résolutions, lesquelles sont loin d’être marginales, l’une d’elles ayant été signée par M. Hans-Gert Pöttering, actuel président du Parlement. L’Europe organise ainsi lentement sa babélisation qui, pour nombre d’esprits bien intentionnés, n’a déjà plus qu’un remède : le recours général à l’anglais, ou plus justement à l’anglo-américain…
Le Sénat de la République a donc montré plus de sagesse que le gouvernement et l’Assemblée nationale réunis, en refusant à une large majorité (216 voix contre 103) la reconnaissance constitutionnelle des langues régionales et minoritaires. Comment pouvait-il suivre l’argument sur la protection de notre patrimoine culturel, puisqu’il eut fallu reconnaître alors chacune de ses composantes, comme la protection des cathédrales ou la vinification du sauternes ? L’intention était donc politique mais allait à contresens de ce qui est raisonnable et souhaitable : une protection de nos langues traditionnelles doit s’accompagner d’une politique hardie en faveur du français langue internationale, et d’une protection renforcée du français en France telle que la réclame à juste titre une Académie française qui s’affirme aujourd’hui, avec nos sénateurs, un des meilleurs boucliers de la République.