Placé en garde à vue le 11 juin, Thierry Ehrmann, le patron du groupe Serveur et le créateur de la fameuse Demeure du Chaos, a-t-il été victime d’une manipulation ? Enquête.
“Chacun avait un flingue. Il a vidé son chargeur mais moi, mon chargeur est encore plein !” C’est le “pitch” de Thierry Ehrmann quelques jours après avoir passé près de 30 h en garde à vue à la police judiciaire de Lyon. Soupçonné d’abus de biens sociaux, le patron du groupe Serveur est ressorti sans la moindre mise en examen. Avec simplement un joli “cocard” à l’œil droit. Tout à fait dans le style de ce “guerrier”, comme il se définit lui-même. Un guerrier toujours aussi combatif et qui semble décidé à ne pas baisser les bras. Sa garde à vue, au fond, ne l’a pas traumatisé. Car ce pionnier de l’internet, qui aujourd’hui fait la “une” de la presse internationale avec son incroyable Demeure du Chaos, en a vu d’autres. Et ce n’est pas le genre à pleurnicher sur sa garde à vue. “Son image, il s’en fout” souligne un de ses avocats avant d’ajouter : “Mais ce qui est essentiel, c’est qu’il a le sentiment d’avoir été victime d’une injustice. Et il ira jusqu’au bout”.
“On lui a tendu un piège, c’est évident, une véritable manip pour le faire tomber. Et j’aimerais pas être à la place de ceux qui ont monté ce coup!” renchérit un patron lyonnais qui connaît bien Ehrmann. Alors, qui est derrière cette manipulation qui conduit Ehrmann à passer 30 h en garde à vue, le tout relayé par les gros titres de la presse lyonnaise, notamment du Progrès ? “C’est un secret de polichinelle” répond un proche d’Ehrmann. Mais personne ne veut lâcher un nom. Pire, c’est la loi du silence depuis que cette affaire a éclaté. Et ceux qui s’expriment exigent l’anonymat. “Un certain nombre de gens savent, mais une guerre impitoyable est engagée et personne n’a intérêt à se mettre au milieu” avoue un commissaire aux comptes. Même le PDG du groupe Serveur garde le silence. Un signe ! A l’origine de toute cette affaire, un conflit entre deux hommes, deux Lyonnais, deux patrons riches, puissants et mystérieux. D’un côté, Thierry Ehrmann bien sûr. De l’autre, Paul Billon. La seule différence entre ces deux adversaires qui se haïssent, c’est qu’Ehrmann est célèbre. Alors que Billon est inconnu du grand public. Et difficile d’en savoir plus car Paul Billon, qui réside actuellement en Suisse, reste lui aussi enfermé dans son silence. Difficile même d’obtenir des informations sur ce promoteur immobilier lyonnais dont la fortune serait considérable. Plusieurs centaines de millions d’euros, affirme la rumeur. En attendant, il échappe miraculeusement à tous les palmarès des riches lyonnais. “Il est invisible” répète un banquier lyonnais qui pourtant adore “balancer” sur le petit cénacle de milliardaires qui à Lyon jouent la carte de la discrétion, en tentant de se faire passer pour de modestes rentiers.
“C’est la loi du silence depuis que cette affaire a éclaté”
Une certitude, Paul Billon est le principal actionnaire du groupe Vendôme de Gestion et de Participation. VGP, pour les initiés. Un groupe tout aussi mystérieux dont le siège est à Lyon, avenue des Sources dans le quartier de la Duchère. Dans un immeuble baptisé le “Sheratan“, implanté dans l’enceinte même de la clinique de la Sauvegarde. On s’attend à un building de verre et d’acier. Mais surprise, c’est un bâtiment minable d’un étage. La peinture est écaillée, les boîtes aux lettres abîmées… A l’entrée, une simple plaque en métal indique la présence de ce consortium : Vendôme de Gestion et de Participation, Billon Immobilier, Plateforme Services immobilier, PSI Management, Multiburo… Dans le hall, un carrelage bleu et blanc, une montée d’escalier avec en haut une plante verte fatiguée. On sonne à l’interphone, pas de réponse. En plein après-midi. On insiste, personne. Bref un siège social “fantôme”. De plus, impossible de mettre la main sur le PDG officiel du groupe VGP, une certaine Valérie Gueulle. Elle refuse, aussi, de faire la moindre déclaration. “Attention, avec cette affaire, vous entrez dans des hautes sphères où ça bataille ferme” précisera à Lyon Mag, Jean-Paul Simoëns, le commissaire aux comptes de VGP jusqu’en 2006, qui est un ami personnel de Billon. Mais qui est surtout un des personnages les plus influents à Lyon. Ami et conseiller des grands chefs d’entreprise lyonnais, Simoëns est considéré comme “le Mozart de la compta”. Un homme discret, secret même.
“Il sait tout sur le business à Lyon” explique un de ses confrères. Exagération ? Sans doute. Mais une certitude, il pèse lourd. Bosseur, plutôt sympa, bon vivant, gros fumeur, amateur de whisky… Mais c’est un type imaginatif, subtil et implacable. Bref, il pourrait très bien tenir le rôle du “parrain” dans un polar américain style Ellroy. D’ailleurs, sa petite phrase sur “les hautes sphères” est tout à fait dans son style. Pas une menace, mais un conseil amical en forme d’avertissement : ne vous mêlez pas de cette histoire.
En tout cas, les hautes sphères sont inaccessibles. Malgré des coups de fil et des mails, impossible d’entrer en contact avec Paul Billon. Et son groupe VGP, qu’il a créé en 1997 quand il a vendu son empire immobilier, reste mystérieux. Avec une galaxie de filiales. Et dont les activités sont très variées. De l’immobilier à la santé. Parmi ces participations, on trouve même un hôpital au Vietnam contrôlé en partie par VGP via la société Eukaria. Un hôpital français situé à Hanoï qui n’emploie pas moins de 300 médecins, dont une dizaine de médecins lyonnais. Et qui était dirigé jusqu’à récemment par un personnage bien connu de la justice lyonnaise : Yves Nicolaï qui a été, dans les années 90, au cœur du scandale de la fameuse clinique de la Sauvegarde accusée de surfacturer ses actes médicaux. Bien sûr, ce médecin a été blanchi au terme d’une longue bataille judiciaire. Mais il a préféré s’exiler au Vietnam où il a dirigé cet hôpital réputé qui, bizarrement, vient de déposer le bilan. “Billon dans l’immobilier tout le monde le connaît” explique un grand promoteur immobilier lyonnais en ajoutant : “C’est un type malin, dur… Pour lui, il n’y a que l’argent qui compte. Et il a toujours fait des procès à tout le monde mais il a une force dans cette affaire, c’est le roi des écrans de fumée !”
Alors, comment Ehrmann et Billon qui, au départ étaient des amis, en sont venus à se livrer une guerre aussi impitoyable ? “En fait, au départ, ils étaient associés et ils s’entendaient bien, sans être de vrais amis” corrige un proche de Billon. Associés, tout est là. Jusqu’à la fin des années 90, tout se passe sans problème entre les deux associés. D’autant plus que les affaires marchent bien, que la conjoncture est favorable…