Avec la création de son parti anticapitaliste, le porte-parole de la LCR inquiète le PS, contraint de créer un “groupe de veille”. Son programme, son parcours : notre enquête.
Mieux vaut tard que jamais. Ce n’est que lors du bureau national du PS du 13 mai, qu’a été décidée la création d’un “groupe de veille” sur Olivier Besancenot. Une idée signée François Hollande, après que celui-ci eut assisté, deux jours plus tôt, à la prestation du facteur trotskiste lors de l’émission Vivement dimanche sur France 2. Selon lui, Besancenot, qu’il a trouvé « très bon », réclame au parti « d’être doublement vigilant » parce qu’il s’écarte du « langage habituel » et parce qu’il «cherche à structurer un espace politique en excluant de gouverner avec [eux] ».
Lui-même ancien de la Ligue, Julien Dray prend alors la parole. Il partage l’inquiétude de Hollande : « Si le PS se divise, dit-il, si nous ne sommes pas capables d’avancer, alors risque de se développer un fatalisme, un esthétisme de la minorité ; certains à gauche soutiendront Besancenot pour se faire plaisir. »
Autre intervenant : Jean-Christophe Cambadélis,lui aussi ancien trotskiste. Il compare l’émission du jeune facteur au passage – fondateur – de Jean-Marie Le Pen à l’Heure de vérité, en février 1984, au début de sa percée : « Sans vouloir faire d’amalgame, prévient-il, il s’agit dans les deux cas d’un passage du statut de leader extrémiste à celui de leader comme les autres. » Et d’ajouter : « Trop occupés par le cas Bayrou, nous avons négligé le phénomène Besancenot. »
C’est peu de le dire. Profitant d’une hausse de treize points en un mois, le porte-parole de la LCR est aujourd’hui considéré par les Français comme “le meilleur opposant” à Nicolas Sarkozy, selon la dernière étude OpinionWay-le Figaro. « Contrairement aux responsables socialistes, ce n’est pas l’échéance de 2012 qui le préoccupe, mais la situation des gens », relèvent massivement les personnes interrogées – dont de nombreux électeurs du PS. Avec 52 % d’opinions favorables, Besancenot devance désormais,aussi, Royal, Hollande, Fabius et Aubry dans le baromètre Ipsos-le Point. « Il se passe vraiment quelque chose. Ce n’est pas seulement une bulle de savon médiatique », affirme, pour sa part, Jérôme Fourquet, de l’Ifop.
Chargé, par Hollande, de “piloter”le “groupe de veille” dédié à l’ancien candidat à la présidentielle (4,5 %), Daniel Vaillant a réuni une petite équipe autour de lui : Bruno Le Roux, le “monsieur sondage”du PS,et quelques trotskistes “recyclés” : Dray,Cambadélis, l’eurodéputé Henri Weber… La consigne reçue est claire : «Trouver les moyens efficaces d’empêcher la construction pérenne d’une extrême gauche. » « En 1974, se souvient Vaillant, Mitterrand avait confié à Jospin une mission d’observation sur les relations avec le parti communiste. Ses travaux avaient été très utiles. »
Pour le PS, il y a péril.« On va vous faire avec Besancenot ce que vous nous avez fait avec Le Pen », a lancé Sarkozy à Hollande, le 7 juin, dans l’avion qui les ramenait du Liban, où le chef de l’État avait convié les chefs de parti. Mais à droite aussi, la percée du leader trotskiste ne devrait pas manquer d’interpeller. Sous prétexte de diviser la gauche, faut-il se réjouir de l’ascension d’un homme dont le parti résume ainsi son objectif, en préambule de son “plan d’urgence anticapitaliste” : « Nous voulons chasser ce gouvernement et mettre à sa place […] un gouvernement fondé sur la mobilisation et le contrôle populaire. »
Parmi les propositions contenues dans son programme (lire notre encadré page suivante) : l’interdiction de licenciement, le passage aux 32 heures, la renationalisation de toutes les entreprises privatisées et ouvertes à la concurrence… Le tout financé avec l’argent des “riches” : suppression de tous les “cadeaux fiscaux”, augmentation de l’ISF, des hautes tranches de l’impôt sur le revenu et des cotisations patronales. « Le maintien des emplois doit être assuré sous peine de réquisition des entreprises, précise-t-on sur le site Internet de la LCR. En cas de carence de l’employeur, c’est la responsabilité collective du patronat de maintenir les salaires et les activités, grâce à un fonds de mutualisation fondé sur des cotisations patronales. » Plus loin, cette autre “perle” : « La sécurité industrielle exige des mesures radicales qui retirent le pouvoir aux actionnaires et donnent le pouvoir aux populations de décider et de contrôler »…
Les liens historiques entre l’extrême gauche et le terrorisme
Ultradirigisme d’un côté. Ultralaxisme de l’autre. En matière d’immigration, ses électeurs, et les autres, savent-ils en effet que Besancenot et son parti réclament la régularisation immédiate de tous les sans-papiers, avec l’octroi d’une carte de résident de dix ans, automatiquement renouvelable ? Savent-ils encore que la LCR revendique le droit de vote et l’éligibilité pour tous les étrangers (y compris hors Union européenne) à toutes les élections (dont la présidentielle) ? Afin de sortir de la « criminalisation des jeunes et des pauvres », le parti trotskiste préconise rien moins que l’abrogation des lois de sécurité et même… la suppression des fichiers informatiques de police ! Les « contrôles » étant, en revanche, renforcés dans le domaine social.
« Irréaliste et dangereux » : c’est ainsi que le ministre d’ouverture Jean-Marie Bockel, interrogé par Valeurs actuelles, juge le programme de la LCR. « Si ses recettes étaient appliquées, ajoute-t-il, on assisterait, en quelques semaines, à l’effondrement de notre économie et, assez rapidement, à la remise en cause de nos libertés. » L’adhésion de Jean-Marc Rouillan, l’ancien terroriste d’Action directe, au parti de Besancenot n’est, de ce point de vue, pas aussi anodine que ce dernier l’a laissé croire. Elle rappelle, en effet, les liens “historiques” entre l’extrême gauche et l’action violente. Liens jamais entièrement rompus : interrogé par le Monde, Pierre-François Grond, dirigeant de la LCR et proche de Besancenot, ose ainsi qualifier de simple « connerie faite il y a vingt ans » le double assassinat de Georges Besse et du général Audran ! Complice de Rouillan au moment des faits, il se murmure d’ailleurs que Nathalie Ménigon s’apprêterait,elle aussi, à rejoindre le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) de Besancenot…
À plusieurs reprises, au cours de son histoire, la Ligue communiste, devenue LCR en 1974, a allègrement franchi la ligne jaune : candidat à la présidentielle de 1969, Alain Krivine, le mentor du postier, appelle ses électeurs à sortir de la légalité en s’organisant en « comités rouges » ; en 1979, le parti refuse de condamner l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS… Dissoute une première fois en 1973, suite à l’attaque sanglante (des dizaines de policiers blessés) d’un meeting d’extrême droite, l’organisation manquera à plusieurs reprises de l’être à nouveau, tant son « redoutable service d’ordre paramilitaire » fait parler de lui. « Cette tentation militariste ira très loin », écrit Christophe Bourseiller dans les Ennemis du système (Robert Laffont), citant notamment le film Mourir à trente ans de Romain Goupil. Lequel « décrit la trajectoire de Michel Recanati, principal responsable du service d’ordre, que tenaille l’envie de passer à l’acte. Au terrorisme. Après la dissolution de la Ligue en 1973, Recanati prendra du champ et se suicidera quelques années plus tard ».
La LCR a-t-elle vraiment changé ? Et si oui – au moins sur la forme –, sur quelle ligne se situe exactement Besancenot ? De lui,on sait finalement peu de choses.Mais son profil est loin d’être aussi lisse qu’on le dit :“facteur volontaire”, puisqu’il dispose d’une licence d’histoire qui lui aurait permis de briguer un autre emploi, Besancenot ne s’est jamais contenté pour vivre de ses 1 200 euros mensuels : ancien assistant parlementaire de Krivine au Parlement européen,le leader trotskiste, qui perçoit un second salaire de son parti,est aussi le compagnon de Stéphanie Chevrier, l’une des plus importantes éditrices de Paris.C’est dans le très bourgeois appartement de cette ex-compagne du chanteur Yves Simon que vit Besancenot, plus que dans l’appartement du XVIIIe dont il est propriétaire – et qu’il a mis en location.
Plus cynique qu’on le dit, est-il aussi moins “modéré”qu’on croit ? Daniel Vaillant s’interroge : «On sait que Christian Picquet, qui incarnait une ligne d’ouverture à la LCR, a été débarqué il y a quelques semaines, relève-t-il. Il est donc important de connaître les conséquences de ce limogeage : la Ligue va-t-elle effectuer un tournant plus radical, ou au contraire va-t-elle reprendre la ligne de Picquet en se l’appropriant ? »
À cette question, et à beaucoup d’autres, le “groupe de veille” mis en place par le PS devra répondre, s’il ne veut pas risquer une LCR aux alentours de 10 % aux européennes de 2009, comme certains le craignent.Le temps presse.Mais la commission mise en place par Vaillant a plutôt tendance à se traîner.Signe de la profonde léthargie dont semble atteint le parti socialiste, c’est près d’un mois après sa création que la cellule de crise s’est enfin réunie pour la première fois ! La réunion a eu lieu le 11 juin, dans un… salon privé de l’hôtelBristol – l’un des plus chics de la capitale. Pendant ce temps, Besancenot, lui, était à Nantes devant un parterre d’enseignants…