Le prix des matières premières semble entraîné dans une spirale dépressive depuis un mois. Dans le sillage d’un pétrole revenu sous les 120 dollars (soit une chute d’environ 20 % depuis son pic de 147 dollars, le 11 juillet) les cours du blé, du maïs, du cuivre, du nickel, de l’or, du bétail ou du fret maritime s’orientent inexorablement à la baisse. Ne surnagent guère que le sucre et le café arabica.
Le naufrage est attesté par l’index Jefferies/Reuters CRB (Composite Research Bureau), qui compile les évolutions de dix-neuf produits de base et qui a perdu 15 % en cinq semaines, ou encore par l’index du secteur énergétique de Standard & Poor’s, qui a chuté de plus de 20% depuis le mois de mai.
Philippe Chalmin, professeur à Paris-Dauphine, ne conteste pas ces chutes “très fortes par rapport aux cours les plus hauts”, mais il souligne que la tonne de cuivre à 7500 dollars, l’once d’or à 880 dollars, le boisseau de blé à 8 dollars, cela ne ressemble en rien à un effondrement, tout au plus à une “correction”.
Les fonds spéculatifs ont commencé à se retirer des marchés à terme des matières premières et les banques conseillent à leurs clients d’en mettre un peu moins dans leurs portefeuilles. “Pour la première fois depuis février 2007, le marché pétrolier new-yorkais est dans une position nette vendeur “, explique Eric Le Coz, directeur du développement chez Carmignac Gestion. Et la débandade spéculative est comparable, à Chicago, pour le blé et le maïs.
Dynamisme chinois Les raisons de ce retournement sont légion : l’ouragan Edward s’est évanoui avant d’avoir commis le moindre dégât aux puits de pétrole du golfe du Mexique; les Américains et les Européens utilisent moins leur voiture cet été, pour cause de carburant cher ; la récolte mondiale de céréales s’annonce pléthorique en raison d’une bonne météo générale; les sidérurgistes essaient de fabriquer l’acier avec d’autres métaux inoxydables que le nickel, devenu hors de prix; la Chine a mis à l’arrêt ses usines de la région de Pékin pour éviter que les athlètes olympiques n’y soient asphyxiés; l’économie européenne freine sec, y compris l’allemande, jusque-là miraculeusement épargnée. Autrement dit, la demande en général et celle des matières premières en particulier seraient en passe de défaillir.
“Qu’il y ait une moindre activité en Chine, c’est indéniable, commente M.Le Coz, mais le dynamisme chinois ne se dément pas pour autant. L’accroissement des ventes d’automobiles est en Chine de +15 % en rythme annuel et les perspectives sont immenses puisque la densité automobile chinoise équivaut à peine à celle des Etats-Unis en 1915.” Il ajoute : “La banque centrale chinoise vient d’annoncer la fin du resserrement monétaire en affirmant que la croissance était plus importante que la lutte contre l’inflation. Ce qui signifie que le rythme de progression du produit intérieur brut chinois restera de 9 % ou 10 % et que l’augmentation de la demande de matières premières est inévitable.” La Chine suffira-t-elle à maintenir la demande mondiale à flot ? “Tout le monde se focalise sur les inquiétudes en matière de demande, répond-il. En fait, le risque se trouve du côté de l’offre et le marché ne cessera pas d’être favorable aux producteurs. A 120 dollars le baril, le marché pétrolier demeure très tendu. Le marché du minerai de fer ne connaît aucune spéculation et pourtant les hausses qui y sont pratiquées sont phénoménales [+85 % en 2008].
Compte tenu de la faible valorisation boursière – extraordinairement attractive – des sociétés minières, il vaut mieux acheter des actions de BHP Billiton, dont le charbon est indispensable aux pays émergents qui tirent l’économie mondiale, que celles d’une banque occidentale, dont les prêts ne sont pas appelés à se multiplier…” Selon M. Le Coz, la correction en cours ne devrait pas faire retomber très bas les cours des matières premières et, à moyen et long terme, le déficit de l’offre les poussera à repartir à la hausse.
Tel est aussi l’avis de M. Chalmin, qui s’attend à une légère baisse des prix agricoles et à une stabilité des cours des minerais. Même chose pour le pétrole? Compte tenu de l’extraordinaire volatilité qui règne sur les marchés, il préfère répondre par une boutade : “J’ai prédit qu’en matière pétrolière, nous évoluerions entre 100 et 200 dollars le baril, rappelle-t-il. Pour l’instant, nous sommes dans cette fourchette. Si, cet été, il n’y a pas de cyclone et pas de crise iranienne, le baril de pétrole peut se retrouver sous les 100 dollars, en septembre. Dans le cas contraire…”