Quelles sont les vraies raisons de la guerre en Afghanistan ? Le sénateur socialiste Jean-Luc Mélenchon rompt le silence et se dresse contre les “mensonges” du gouvernement.
Jean-Luc Mélenchon est un homme politique atypique, qui, souvent, vient briser la pensée unique. Notamment en matière de politique internationale. On se souvient du son de cloche dissonant qu’il apporta à l’époque des troubles au Tibet, peu avant les Jeux Olympiques de Pékin. Sans soutenir le régime chinois, il refusait de participer au concert de louanges qui entourait la personne du dalaï-lama et son idéologie religieuse.
Le 21 septembre, c’est à l’engagement des troupes françaises en Afghanistan que le sénateur socialiste s’est attaqué, dans un article remarquable publié sur son blog, et intitulé La guerre en questions ?. Pas moins de 300 commentaires ont suivi ce texte, qui met les pieds dans le plat.
Mélenchon dénonce d’emblée les “mensonges” et la “propagande” du gouvernement, notant la désormais célèbre volte-face de Nicolas Sarkozy, qui, le 26 avril 2007, entre les deux tours de la présidentielle, sur France 2, déclarait : « La présence à long terme des troupes françaises à cet endroit du monde ne me semble pas décisive. Si je suis élu, les troupes françaises quitteront l’Afghanistan »… avant de lancer, en novembre 2007, au cours de sa visite à Washington : « la France restera engagée en Afghanistan aussi longtemps qu’il le faudra, car ce qui est en cause dans ce pays, c’est l’avenir de nos valeurs et celui de l’Alliance Atlantique ».
Prenant à rebrousse-poil le message gouvernemental, selon lequel notre présence militaire en Afghanistan se justifie par la lutte pour la liberté et contre le terrorisme, il soutient que “c’est l’intensification des actes de guerre de la coalition qui nourrit le terrorisme et fait reculer la liberté”.
Mais surtout, Mélenchon interroge les véritables objectifs de cette guerre, que nos dirigeants omettent de dire. Lui ne croit pas, manifestement, à la “guerre au terrorisme” ; dans une interview à France 24, le 25 septembre, il parle de “soi-disant lutte contre le terrorisme”, qui serait même, selon lui, “du pipeau” (voir à 15 min 15).
Il dit aussi que cette guerre a été déclenchée “en réplique à un événement [les attentats du 11-Septembre] par rapport auquel les Américains prétendaient donner des preuves certaines du fait que c’était parti d’Afghanistan”. Cette petite phrase, pas vraiment anodine, et qui en rappelle une autre, sous-entend que les Américains n’ont pas donné les fameuses preuves, et que l’origine (géographique) des attentats reste incertaine…
La guerre en Afghanistan ne serait donc pas une “guerre au terrorisme”, et le 11-Septembre, prétexte de la guerre, n’aurait pas nécessairement été préparé en Afghanistan… Mais revenons à l’article de Mélenchon et citons-le même longuement :
“Une bonne preuve de l’effet d’opportunité qui a été à l’origine de l’invasion militaire de l’Afghanistan est qu’elle a été préparée par les Américains et les Britanniques plusieurs mois avant le 11 septembre. Dès l’été 2001, les Américains avaient commencé à envoyer des commandos en Afghanistan et avaient pré positionné d’importantes forces en Egypte tout en déployant avec les Britanniques leurs flottes en mer d’Oman pour préparer l’invasion du pays. Les vrais motifs de l’invasion étaient donc ailleurs que dans la réplique à Oussama Ben Laden, qui n’avait d’ailleurs d’autres lien avec l’Afghanistan que de s’y être réfugié dans les montagnes. Mais qui se souvient que le régime taliban qui gouvernait à l’époque à Kaboul avait déclaré accepter au lendemain du 11 septembre de livrer Ben Laden pour qu’il soit jugé. Peu importait alors aux Américains. Colin Powell affirme alors au monde entier que les Etats-Unis détiennent des preuves de l’implication afghane dans les attentats du 11 septembre et qu’elles seront fournies au Conseil de sécurité. Personne ne les a pourtant jamais vues. Personne ne les réclame depuis. Ce tableau est donc couvert d’une ombre inquiétante depuis l’origine. En effet, les Américains sont très actifs en Afghanistan et au Pakistan depuis la fin des années 1970. Ils se sont fortement appuyés sur les islamistes pour contrer l’influence soviétique dans la région. C’est eux qui ont constitué « Al-Qaïda » à l’époque pour combattre les russes. A ce titre, ils avaient directement armé les Talibans. La prise de pouvoir de ceux-ci à Kaboul en 1996 avait été soutenue par deux alliés de poids des Etats-Unis : l’Arabie Saoudite et le Pakistan. Tout ce passé semble s’être évanoui des souvenirs officiels et des « argumentations » du présent. Pourquoi ?”
Ce seul paragraphe est une bombe. L’un des principaux leaders du Parti socialiste rappelle que la guerre en Afghanistan était en préparation bien avant le 11-Septembre, et que ses raisons sont donc à chercher ailleurs que dans la réplique à l’attaque terroriste sur New York et Washington. Il dit là implicitement que les gouvernements qui le prétendent nous manipulent. Il rappelle encore ce que l’on oublie souvent, à savoir que les Talibans étaient prêts à livrer Ben Laden au lendemain des attaques, pour peu que les Américains leur livrent les preuves qu’ils prétendaient détenir (comme les Britanniques) de sa culpabilité. Mais les Américains étaient, semble-t-il, trop empressés d’attaquer pour donner leurs preuves, et prendre le risque que Ben Laden leur soit livré… Mélenchon rappelle enfin que les preuves de l’implication afghane dans les attentats, que les Américains avaient promis de donner, n’ont jamais été vues par quiconque.
On pourrait aussi rappeler que les Talibans, mis en cause pour avoir accueilli Ben Laden et des camps d’entraînement d’Al-Qaïda, avaient (aussi surprenant que cela puisse paraître) averti les Etats-Unis, fin juillet 2001, de l’imminence d’une énorme attaque d’Oussama Ben Laden sur leur sol, par l’entremise du ministre des Affaires étrangères Wakil Ahmed Muttawakil (Independent, 7 septembre 2002). L’un des nombreux avertissements étrangers reçus par les Américains avant le 11-Septembre.
Mais revenons à Mélenchon. Quelle est donc la raison de la guerre en Afghanistan ? Le paragraphe suivant de son texte y répond :
“LE PETROLE BIEN SÛR
Dans cette région du monde, la succession des événements montrent que souvent les motifs d’action sentent très fortement le pétrole. Depuis la chute de l’URSS en 1991, les Etats-Unis font tout pour contrer l’influence russe et iranienne en Asie centrale. En particulier pour désenclaver sous leur contrôle les importantes réserves de pétrole et de gaz du Kazakhstan, de l’Ouzbékistan et du Turkménistan. Les Etats-Unis conçoivent alors un projet de pipe line géant allant de la mer Caspienne jusqu’à la mer d’Oman via l’Afghanistan et le Pakistan. Pour cela ils négocient via la compagnie pétrolière californienne Unocal avec tous les pouvoirs locaux en place. A partir de janvier 2001, le vice-président Dick Cheney suit personnellement le déroulement de ces tractations qui butent sur le refus du régime taliban. On notera que le régime taliban à peine renversé, le 27 décembre 2001, le Turkménistan, l’Afghanistan et le Pakistan signaient un accord relançant le projet de pipeline. Bush a aussitôt comme émissaire spécial à Kaboul un ancien collaborateur du groupe Unocal, le diplomate Zalmay Khalizay et le président Hamid Karzaï a lui aussi été consultant du groupe pétrolier, tout comme le futur ministre afghan des Mines et de l’Industrie Mir Sediq. Cette caricature à peine croyable de main mise est une toile de fond avérée. Mais elle est toujours absente du débat sur les objectifs de guerre en Afghanistan et le bilan de la présence “occidentale”. Pourquoi ?”
Les députés de la majorité continueront de nous assurer que nous combattons pour les droits de l’homme, ou encore pour éviter que des bombes n’explosent dans le métro parisien…
Lors d’un récent micro-trottoir mené par des membres d’Egalité et réconciliation devant l’Assemblée nationale, seul un député communiste, Jean-Paul Lecoq, semblait partager la lucidité de Jean-Luc Mélenchon, pointant des objectifs “inavoués”.