Brice Hortefeux, Ministre français de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire, a proposé aux Etats membres de l’Union européenne un « pacte pour l’immigration » avec un double objectif :
Harmoniser, d’une part, les politiques européennes en matière de flux migratoire en fonction des capacités d’accueil de l’Europe sur le plan du marché du travail, du logement et des services sanitaires.
Instaurer, d’autre part, au niveau communautaire, une harmonisation des politiques d’expulsion des migrants illégaux, du droit d’asile, et de la promotion de l’immigration professionnelle légale.
I-Les arabo-musulmans d’Europe, le premier groupement ethnico- identitaire d’importance sédimenté hors de la sphère européo centriste et judéo chrétienne.
Cinq siècles de colonisation intensive à travers le monde n’ont pas encore banalisé la présence des « basanés » sur le sol européen, de même que treize siècles de présence continue matérialisée par cinq vagues d’émigration n’ont conféré à l’Islam le statut de religion autochtone en Europe, où le débat, depuis un demi siècle, porte sur la compatibilité de l’Islam et de la République, comme pour conjurer l’idée d’une agrégation inéluctable aux peuples d’Europe de ce groupement ethnico -identitaire, le premier d’une telle importance sédimenté hors de la sphère européo-centriste et judéo-chrétienne.
Les interrogations sont réelles et fondées, mais par leur déclinaison répétitive (problème de la compatibilité de l’Islam et de la Modernité, compatibilité de l’Islam et de la Laïcité), les variations sur ce thème paraissent surtout renvoyer au vieux débat colonial sur l’assimilation des indigènes, comme pour démontrer le caractère inassimilable de l’Islam dans l’imaginaire européen, comme pour masquer les antiques phobies chauvines, malgré les copulations ancillaires de l’outre-mer colonial, malgré le brassage survenu en Afrique du Nord et sur le continent noir, malgré le mixage démographique survenu notamment au sein des anciennes puissances coloniales (Royaume-Uni, France, Espagne, Portugal et Pays Bas) du fait des vagues successives des réfugiés du XX me siècle d’Afrique, d’Asie, d’Indochine, du Moyen-Orient et d’ailleurs.
Au delà de la polémique sur la question de savoir si « l’Islam est soluble dans la République ou à l’inverse si la République est soluble dans l’Islam », la réalité s’est elle-même chargée de répondre au principal défi interculturel de la société européenne au XXI ème siècle. Soluble ou pas, hors de toute supputation, l’Islam est désormais bien présent en Europe d’une manière durable et substantielle, de même que sa démographie relève d’une composition interraciale, européenne certes, mais aussi dans une moindre proportion, arabo-berbère, négro-africaine et indo-pakistanaise : Quatre mille mosquées, douze millions de fidèles, et 2,6 pour cent de la population européenne est d’origine musulmane, selon les statistiques officieuses concernant les 15 pays de l’Europe occidentale communiquées avant l’adhésion massive des 12 pays de l’Europe centrale et oriental. Ces chiffres parlent d’eux-mêmes et se passent de tout commentaire.
Premier pays européen par l’importance de sa communauté musulmane, la France est aussi, proportionnellement à sa superficie et à sa population, le plus important foyer musulman du monde occidental. Avec près de cinq millions de musulmans, dont deux millions de nationalité française, elle compte davantage de musulmans que pas moins de huit pays membres de la Ligue arabe (Liban, Koweït, Qatar, Bahreïn, Emirats Arabes Unis, Palestine, Iles Comores et Djibouti). Elle pourrait, à ce titre, justifier d’une adhésion à l’Organisation de la Conférence Islamique (OCI), le forum politique panislamique regroupant cinquante deux Etats de divers continents ou à tout le moins disposer d’un siège d’observateur.
En comparaison, pour une superficie de 9,3 millions de km2 et une population de 280 millions d’habitants, les Etats-Unis comptent près de 12 millions de musulmans dont 3,5 millions d’arabo-américains et 1 200 mosquées. La communauté musulmane de France se décompose comme suit : deux millions de Maghrébins, deux millions de nationalité française, la plupart originaires d’Algérie et rapatriés en France au moment de l’indépendance de ce pays, ainsi que 400. 000 africains, 300. 000 turcs et 100.000 asiatiques.
En vingt ans (1980-2000), près de trois mille associations ont été fondées et mille cinq cents lieux de culte édifiés, parmi lesquelles cinq grandes Mosquées, dont trois dans la région parisienne Paris, Evry et Mantes-La-Jolie, ainsi qu’à Lyon et Lille.
Socle principal de la population immigrée malgré son hétérogénéité linguistique et ethnique, avec 12 millions de personnes, dont cinq millions en France, la communauté arabo-musulmane d’Europe occidentale apparaît en raison de son bouillonnement -boutade qui masque néanmoins une réalité- comme le 28 ème Etat de l’Union européenne.
En s’y greffant, l’admission de la Turquie, de l’Albanie et du Kosovo au sein de l’Union européenne porterait le nombre des musulmans à près de 100 millions de personnes, représentant 5 pour cent de la population de l’ensemble européen, ce qui pourrait porter atteinte, selon les tenants de la droite radicale européenne, à son homogénéité démographique, à la blancheur immaculée de sa population et aux « racines chrétiennes de l’Europe ». Au point que l’UMP, le parti sarkoziste en France, a institué une clause de sauvegarde, soumettant à référendum l’adhésion de tout nouveau pays dont la population excède cinq (5) pour cent de l’ensemble démographique européen (2).
Pour un observateur non averti, le décompte est impressionnant : l’agglomération parisienne concentre à elle seule le tiers de la population immigrée de France, 37 pour cent exactement, tous horizons confondus (Africains, Maghrébins, Asiatiques, et Antillais), alors que 2,6 pour cent de la population d’Europe occidentale est d’origine musulmane, concentrée principalement dans les agglomérations urbaines.
Dix pour cent de la population de Berlin, de Bruxelles et de Bradford est d’origine musulmane, alors que Cologne et Birmingham comptent entre 5 et 10 pour cent de personnes d’origine musulmane et que sont recensées plus de quatre mille mosquées au sein de l’ensemble européen, soit en vingt ans une multiplication par 40 du nombre des lieux de culte.
La France se situe en première position avec près de 1. 500 lieux de prière, suivie de l’Allemagne en 2ème position avec 800 et du Royaume-Uni (3ème position-500 mosquées).
Les Pays-Bas se retrouvent en 4ème position (230 mosquées), la Belgique en 5ème position (220) et la Suède en 6ème position avec 150 mosquées. L’Italie (7ème) et l’Espagne (8ème) comptent respectivement 60 et 50 mosquées. De quoi enflammer des imaginations fébriles, de quoi susciter les plus graves phobies.
Son importance numérique et son implantation européenne au sein des principaux pays industriels lui confèrent une valeur stratégique faisant de la communauté arabo-musulmane d’Europe le champ privilégié de la lutte d’influence que se livrent les divers courants du monde islamique et partant le baromètre des convulsions politiques du monde musulman.
Longtemps laissés pour compte, les arabo-musulmans sont désormais l’objet d’une double sollicitude sous forme d’une compétition entre les pays d’accueil qui prônent une politique d’absorption progressive et les pays d’origine qui entreprennent une opération de séduction dans une stratégie dont l’objectif sous-jacent est, tant pour les uns que pour les autres, sinon de faire barrage à l’intégrisme du moins d’y aménager une sphère d’influence au sein de la population expatriée.
Fait désormais irréversible, l’ancrage durable des populations musulmanes en Europe, la généralisation de leur scolarisation, l’affirmation multiforme de leur prise de conscience ainsi que l’irruption sur la scène européenne des grandes querelles du monde islamique, le bouleversement du paysage social et culturel européen qu’elles auront impliquées au dernier quart du XX me siècle ont impulsé un début de réflexion en profondeur quant à la gestion à long terme de l’Islam domestique.
Les vagues d’attentats, qui ont secoué la France pendant deux décennie, la première en 1986-87, en relation avec le conflit irako-iranien, la seconde en 1995 en rapport avec le conflit algérien, ainsi que les récents attentats anti-européens en relation avec le conflit afghan et irakien, qui ont ponctué l’actualité de 2002 à 2004 de Madrid, à Karachi (bus militaire français), en passant par Ankara (consulat britannique) et Marrakech (centre culturel espagnol), en relation avec la traque contre « Al-Qaida » et la Guerre contre l’Irak, viennent rappeler la proximité des deux continents et leur imbrication politique et humaine.
Toutefois, sous l’effet de la précarité économique et de la montée des conservatismes, l’Europe, sous couvert de lutte contre le terrorisme, en particulier la France, a pratiqué depuis un quart de siècle une politique de crispation sécuritaire illustrée par la succession de lois sur l’immigration (lois Debré-Pasqua-Chevènement-Sarkozy-Hortefeux), apparaissant comme l’un des pays européens les plus en pointe dans le combat anti-migratoire, alors même que sa population immigrée a baissé de 9 pour cent en une décennie (1990-1999).
La palme en ce domaine revient incontestablement à Nicolas Sarkozy, auteur de pas moins de onze lois répressives durant son passage au ministère de l’intérieur (2002-2007), soit en moyenne deux lois par an (2). La panoplie s’est enrichie depuis son accession à la présidence de la république d’un dispositif sur le pistage génétique et l’établissement d’un quota administratif équivalant à 25.000 expulsions par an d’étrangers en situation irrégulière.
L’euphorie qui s’est emparée de la France à la suite de la victoire de son équipe multiraciale à la coupe du monde de Football, en Juillet 1998, n’a pas pour autant résolu les lancinants problèmes de la population immigrée, notamment l’ostracisme de fait dont elle est frappée dans sa vie quotidienne, sa sous-employabilité et la discrimination insidieuse dont elle fait l’objet dans les lieux publics, avec les conséquences que comportent une telle marginalisation sociale, l’exclusion économique et, par la déviance qu’elle entraîne, la réclusion carcérale.
Les attentats anti-américains du 11 septembre 2001 ont relancé la xénophobie latente au point que se perçoit lors des grands pics de l’actualité, tel l’attentat de Madrid du 11 mars 2004, une véritable ambiance d’arabophobie et d’islamophobie. Un quart de siècle après la révolution opérée dans le domaine de la communication, dix ans après la communion interraciale du « Mondial 1998 », les Arabes et les Africains demeurent en France des « indigènes », sous-représentés dans la production de l’information, d’une manière générale dans l’industrie du divertissement et de la culture, et d’une manière plus particulière dans les cercles de décision politique pour l’évidente raison qu’ils sont difficilement perçus comme des producteurs de pensées et de programmes, alors que leur performance intellectuelle ne souffre la moindre contestation.
L’importance de la présence arabo-musulmane dans le paysage français, ainsi que la profusion des établissements cultuels et culturels, des médias communautaires et des performances sportives ne s’est en effet pas accompagnée d’une percée qualitative de la communauté immigrée au niveau des postes de responsabilité au sein du pays d’accueil. Avec l’arrivée à maturité de la 3 me génération issue de l’immigration, des “îlots d’excellence” se sont certes constitués dans les domaines du sport, de la chanson, de la littérature, de l’édition, de la mode, mais il n’existe pas de passerelles entre ces individualités à qui fait défaut une conscience collective.
II- L’immigration, la valeur ajoutée de la France tant au niveau de l’ensemble méditerranéen qu’au niveau de l’Europe.
L’intégration suppose une conjonction d’apports et non l’amputation de la matrice identitaire de base.
A l’entame du III ème millénaire, la France souffre d’évidence d’un blocage culturel et psychologique marqué par l’absence de fluidité sociale. Reflet d’une grave crise d’identité, ce blocage est, paradoxalement, en contradiction avec la configuration pluriethnique de la population française, en contradiction avec l’apport culturel de l’immigration, en contradiction avec les besoins démographiques de la France, en contradiction enfin avec l’ambition de la France de faire de la Francophonie, l’élément fédérateur d’une constellation pluriculturelle ayant vocation à faire contrepoids à l’hégémonie planétaire anglo-saxonne, le gage de son influence future dans le monde.
Au douzième rang du hit parade culturel des nations, le français se situe loin derrière le Royaume-Uni (500 millions de locuteurs), l’Espagne (350 millions de locuteurs), de même que l’arabe, 6ème position pour 250 millions de locuteurs contre 120 millions de francophones.
Avec en projection, une amplification de l’écart au long du XXI me siècle au profit de l’anglais, première langue de communication planétaire dans une société de l’information, en second lieu de l’espagnol, qui dispose aux Etats-Unis au cœur du principal centre de production des richesses et des valeurs de l’époque contemporaine, d’un solide pied à terre matérialisé par le tiers d’une population américaine hispanophone adossé de surcroît au sous-continent latino-américain, enfin de l’arabe avec son immense réservoir humain, représenté par une communauté de 1,2 milliards de fidèles musulmans répartie dans 52 pays à travers le monde, potentiellement recyclable linguistiquement et culturellement.
Pis, au cœur de son nouvel espace vital, l’Union Européenne tend à devenir une succursale linguistique de l’OTAN, une organisation que la France a été contrainte de réintégrer militairement dans la foulée de la guerre du Golfe (1990-1991).
Sanctionnant un renversement de tendance sans doute irréversible, l’anglais y supplante désormais le français en tant que langue de travail. 55% pour cent des documents de travail y sont rédigés en anglais contre 40 pour cent il y dix ans et 44 pour cent en Français. A la fondation de l’Union européenne, en 1957, 80 pour cent du travail interne se faisait en français, soit une perte de 50 pour cent en près d’une décennie.
Certes l’adhésion des pays baltiques et de l’Europe centrale à l’Union européenne va réduire la proportion des « basanés » dans l’espace européen, mais le vieillissement prévisible de la population européenne font de la communauté arabo-musulmane l’objet d’un véritable enjeu en raison de son taux de natalité, de son dynamisme et de sa flexibilité salariale.
L’intégration présuppose une conjonction d’apports et non une amputation de la matrice identitaire de base. La troisième génération issue de l’immigration, française de droit en vertu du nouveau code de la nationalité de 1998, est certes extrêmement sensible à son environnement international comme en témoignent les flambées de violence à caractère confessionnel en rapport avec l’Intifada palestinienne, la guerre du Golfe (1990-91), le conflit bosniaque (1990-1999), la guerre d’Afghanistan (2001-2002) ou la guerre contre l’Irak (2003).
Elle n’en demeure pas moins porteuse d’une dynamique interculturelle en raison de ses origines, de son profil culturel et de ses croyances religieuses. Par les solidarités verticales qu’elle pourrait développer avec le pays d’origine et horizontales au niveau européen, elle constituerait la valeur ajoutée de la France tant au niveau de l’ensemble méditerranéen qu’au niveau de l’Europe. Sous réserve toutefois que soient mis en place de nouveaux fondements intégrant l’Islam à son environnement européen et la République au Multiculturalisme. Sous réserve que soit instaurée aussi une sphère consensuelle dépassant une vision xénophobe du monde en négation avec la mission universelle de la France.
Facteur d’intermédiation socioculturelle, les « bougnoules » des temps anciens paraissent devoir tenir leur revanche dans leur vocation à assumer un nouveau rôle de passerelle de la francophonie entre les deux rives de la Méditerranée, l’avant-garde de « l’arabo-francophonie culturelle » que la France s’ingénie tant à mettre sur pied afin de faire pièce à l’hégémonie anglo-américaine et de favoriser le dialogue des cultures par le dépassement de son passé colonial.